Minoru Mochizuki dans Black Belt en 1980 - Partie 2



Au cours de mes recherches sur le Yoseikan et Minoru Mochizuki, je suis tombé sur un article de David Orange Jr dans le magazine Black Belt d’avril 1980. Le nom de David Orange Jr ne m’était pas inconnu puisqu’il fait partie des rares spécialistes du Yoseikan et qu’il est très présent sur le web, notamment via e-budo. Je vous propose aujourd’hui une traduction de la suite de cet article. (La première partie est disponible ici)
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AIKIDO : LOST IN TRANSLATION (partie 2)

Trouvé à l’endroit où “ce qui est juste est enseigné »  par David Orange, Jr.
Mochizuki, avec sa large expérience des arts martiaux n’était pas un touche-à-tout, mais quelqu’un qui comprenait le lien entre les divers systèmes de Judo, Karaté, Aikido et Kendo. Plus que tout son souci concernait l’efficacité en combat.

Il dit : « vous devez toujours être prêt à répondre à une attaque avec le maximum d’efficacité et en utilisant seulement la force nécessaire. Mon adversaire me fait l’honneur de me donner une attaque puissante. Pour le remercier, je dois contre-attaquer avec le même enthousiasme. Gardant cela à l’esprit, l’attitude de mon adversaire envers moi changera. Il ne me détestera pas. C’est le sens du Budo tel que les maitres Ueshiba et Kano l’enseignaient. »

Ayant étudié avec ces grands enseignants du Budo, ainsi qu’avec Funakoshi et Mifune, Mochizuki est bien place pour parler alors qu’il compare avec précaution Ueshiba et Kano. Mochizuki considère Ueshiba comme « un génie primitif qui ne pouvait rien expliquer ».
Il dit : « A chaque fois qu’Ueshiba ne pouvait pas expliquer quelque chose, il disait que c’était a cause de Dieu. Il avait une tres forte intuition parce qu’il n’avait pas reçu d’éducation. Il pouvait expliquer par ses actions ce que Kano expliquait intellectuellement. Ueshiba comprit le sens du Budo par la nature, alors que Kano le comprit par l’étude et la pratique. Ueshiba agissait par émotions, Kano était pragmatique. »

Mochizuki dit que le Ki devint une notion ésotérique en occident « Ã  cause d’une certaine incompréhension  des propos d’Ueshiba ». Il explique, « Le Ki est une chose simple, c’est l’inspiration. Ce que l’on appelle les démonstrations de Ki ne sont que des tours pour mystifier les occidentaux. De nos jours, cela ne marche pas au Japon parce que ça n’a rien à voir avec le Ki. L’un des problèmes des occidentaux est qu’ils essaient de tout analyser à partir de notions qu’ils ne comprennent pas. Ils cherchent toujours des raccourcis, des substituts à un travail difficile. »

Ce travail difficile est ce qui fait qu’à 73 ans Mochizuki en parait 45. Modestement il véhicule les techniques et attitudes qui lui ont été donnés par ses enseignants.

Mochizuki a un petit dojo à Shizuoka, près du Mt Fuji, mais il trouve que les jeunes Japonais souffrent du même désir de raccourcis que les occidentaux. Il attribue cela à l’éducation moderne au Japon et préfère enseigner à des gens de la campagne, plus proches de la nature et plus réceptifs.

Dans son enseignement et sa philosophie, Mochizuki dit que les techniques de quelqu’un ne sont jamais parfaites. Pour rester efficace, on doit se remettre constamment en question pour progresser, gardant à l’esprit le but premier de l’efficacité en combat. Il considère comme un manque de modestie d’appeler quoi que ce soit Aikido si c’est fait par quelqu’un d’autre qu’Ueshiba. Mochizuki dit : « si nous considérons, comme la plupart le font, que l’Aikido est ultime, c’est de la triche. L’Aikido n’est pas ultime, c’est une voie ».


Mochizuki ne souhaite pas se mettre au niveau d’Ueshiba mais il se demande pourquoi Ueshiba n’employait qu’environ 15 des 350 techniques du Daito Ryu Aikijujitsu dans son Aikido. « Entre deux adversaires bien entrainés, » dit Mochizuki, « un coup de poing, un coup de pied ou une projection aura peu d’effet. Le plus fort au sol gagnera ». C’est pourquoi il met l’accent sur le Judo.

« Contrairement à l’Aikido moderne enseigné comme une forme d’art, les pratiquants de Yoseikan Budo peuvent étudier d’autres arts avec des points de vue complètement différents, » explique Mochizuki. Ses élèvesau Japon et ailleurs « sont encouragés à apprendre le Judo via le Jujitsu, le Karaté via les atemi et le Kendo via le Kenjutsu ».
Il insiste sur les bases et l’apprentissage des attaques pour apprendre à se défendre. Dans les randori de Yoseikan Budo (sparring), il n’y a pas de négociation, pas de chute pour une technique ineffective. Ce niveau commence quand l’élève a maitrisé les bases, ce qui peut prendre plusieurs mois. Le rôle de l’instructeur est ici très important car si les randori libres commencent trop tôt, cela peut être au détriment des bases techniques.

Si le Yoseikan Budo contient des aspects compétitifs, Mochizuki maintient qu’il ne s’agit pas d’un sport. Parce qu’il a observé l’évolution du Judo, il veut conserver les préceptes d’origine enseignés par Kano.

Kano lui-même était membre du comité Olympique mais, d’après Mochizuki, il était opposé à l’introduction du Judo aux Jeux Olympiques. A travers l’observation d’autres sports aux Jeux Olympiques a cette époque, Kano avait compris que les règles changeaient les disciplines et les réflexes.

Toujours lié aux Budo classiques, l’essentiel des Budo modernes ne plait pas à Mochizuki. Il considère que le judo, en devenant un sport, a perdu son caractère martial et que l’Aikido a perdu son efficacité parce que les techniques d’origine ont soit disparu soit été modifiées.

En créant le Yoseikan Budo, Mochizuki commença avec les techniques de base et les anciens kata d’Aikijujitsu, Judo, Karaté et Kobudo. Son objectif était de permettre à l’élève d’évoluer et de développer sa propre sensibilité, de découvrir et de suivre sa propre voie martiale. C’est là que le sens le plus profond du Yoseikan se trouve. En disant que le lieu où ce qui est juste est enseigné  Mochizuki parle dans le sens Zen de tadashi, ou trouver la vérité en soi-même.
En 1951, représentant le Judo de Kano et l’Aikido d’Ueshiba, Mochizuki partit pour l’Europe et etablit une base d’enseignement à Paris. Il fut le premier à démontrer en Europe l’Aikido, le Karaté, le Iai, le Bo et d’autres formes martiales qui devinrent très connues par la suite.

Aujourd’hui en Europe, son fils Hiroo, enseigne son propre style de Yoseikan Budo. Bien que différent, il conserve le même idéal d’une quête patiente de la perfection.

En Amérique du Nord, Mochizuki a autorisé Patrick Augé (un haut gradé en Yoseikan Budo, Judo, Iaijutsu et Karaté) à gérer le Yoseikan Budo. Augé est basé à Ottawa, Canada, où il enseigne dans deux universités et où Mochizuki donna des séminaires en 1979.

Humble, Mochizuki continue à enseigner dans son dojo de Shizuoka, et dédie son temps à la direction technique de la section Jujitsu de l’International Budo Federation et à son travail final sur le Budo.
 

Commentaires

Léon a dit…
"mais il se demande pourquoi Ueshiba n’employait qu’environ 15 des 350 techniques du Daito Ryu Aikijujitsu dans on Aikido"

Ca c'est une excellentissime question, probablement la plus importante depuis que l'aikido est devenu une affaire d'archéologues...

merci bien
Xavier a dit…
Salut Léon,

C'est effectivement une excellente question, comme Mochizuki sensei savait les poser. Je travaille sur une autre traduction qui je pense te plaira également :)

En ce qui me concerne, ce que je comprends du travail de Ueshiba, c'est qu'il a voulu simplifier la pratique autour de quelques techniques accessibles à tous et qui recoupaient l'ensemble des principes. Maintenant est-ce que c'était une bonne idée... commercialement certainement, en termes d'efficacité je n'en sais rien, ça se discute
Léon a dit…
Accessibles? Quand je vois certaines pratiques je me dis qu'il aurait du simplifier davantage lol...

Dans mon expérience la simplicité est la difficulté et l'efficacité ultimes (pense à certains croquis de Picasso...). Mieux vaut 2 techniques maîtrisées que 50 survolées...


De quels principes parles-tu? (c'est intéressant d'avoir un point de vue extérieur).

Xavier a dit…
Sauf que je ne crois pas qu'il soit question de survoler les 50 mais bien de les maîtriser. J'ai tendance à croire que la variété du panel technique permet de voir les choses sous différents angles et donc de mieux les comprendre, mais c'est sûrement une question de point de vue, et me concentrer sur juste quelques unes en parallèle via l'aïkido me permet de travailler certains points spécifiques.

Ma vision des principes de l'aïkido est probablement faussée par mes filtres mais dans ce que je vois il y a un travail sur le relâchement, la connexion/déconnexion au Uke, l'extension du corps de Uke pour amener le déséquilibre, l'absence de tension au point de contact, etc. (Je précise que tous ces points ne me viennent pas de mes cours d'Aikido)
leon a dit…
"Je ne crois pas qu'il soit question de survoler les 50 mais bien de les maîtriser. J'ai tendance à croire que la variété du panel technique permet de voir les choses sous différents angles et donc de mieux les comprendre"

Totalement d'accord. Cela dit, et en écoutant Ueshiba, il faut se les approprier une à une...

Quant aux principes de l'aikido, longue histoire. Au point où j'en suis, je ne vois qu'une seule spécificité à l'aikido, c'est irimi tenkan, très mal compris d enos jours - mais rendez vos dans dix ans j'aurai sns doute encore évolué...;-)

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